L’écriture de Saint-Félix est partie d’un défi : comment transposer à la scène un hameau de la France profonde ? Et comment, à partir de ce microcosme, dire quelque chose de l’humanité en général ? « Pour moi, ce sont souvent dans les choses qui apparaissent anecdotiques ou périphériques que se raconte la société », explique l’auteure et metteuse en scène Elise Chatauret, qui avec sa compagnie Babel développe un théâtre qu’elle qualifie de « documenté ». Comme une ethnologue, elle a passé du temps avec la vingtaine d’habitants de ce Saint-Félix qui ressemble à des centaines d’autres villages, avant d’y faire entrer la fiction.
Son spectacle raconte tout à la fois un territoire topographique et culturel, une société humaine close sur elle-même, tantôt fraternelle et tantôt inquiète, la désertification des campagnes, les préjugés… Y plane le fantôme d’une jeune néo-rurale, Lucie, décédée peu après avoir quitté les lieux. Quatre comédiens endossent tous les personnages de ce spectacle qui, partant d’un plateau nu, mobilise tous les artifices du théâtre pour esquisser les contours d’un bourg qui n’est pas un paradis. Sur scène, des maquettes de maisons forment peu à peu le village. Puis c’est le paysage alentour qui surgit, dans sa lumière changeante, entre faux rochers et photos projetées, façon diorama mélancolique. Et le village gaulois de couper les amarres avec le réel pour se muer en allégorie, flirter avec le conte fantastique… Un objet théâtral singulier à découvrir sans hésitation.